Entreles visites amicales de Flaubert ou de Dumas fils et les escapades improvisées dans le Berry, les chasses aux papillons à Gargilesse et les bains de rivière dans l'Indre, les soins matinaux du jardin et les dîners dans le parc, c'est là aussi que George connaîtra l'ultime grand amour. Du jeune artiste et graveur Alexandre Monceau, l'ami de son fils Maurice, elle se fera Allerdirectement à la rubrique besoin d'aide; Choisir vos courses. Me connecter. Rayons. Recherche. Annuler. Mes produits 0,00 € Nos rayons. Promos Bio et écologique Rentrée des classes C'est l'été Produits laitiers, oeufs, végétal Boucherie, volaille, poissonnerie Charcuterie, traiteur, pain Fruits, légumes Surgelés Epicerie sucrée Epicerie salée Eaux, jus, GeorgeSand fut aussi une femme douloureuse. Elle le dit à longueur de pages, dans tous les genres possibles, sans vraiment convaincre que cette identité souffrante soit autre chose qu’une manie romantique, ou un à-côté de sa vie, d’une permanence sans doute obsédante mais finalement accessoire, dans l’économie d’une œuvre qui se déploie avec la force et l’efficacité Alfredde Musset et George Sand, dessins par Alfred de Musset est un opuscule publié en 1896 par un spécialiste de l'oeuvre d'Alfred de Musset et notaire à Paris (1857) : Maurice Clouard. C'est ainsi avec la précision du notaire qu'il relate avec détails et le souci de la vérité historique Cesont quelques-uns des artistes que George Sand (1804-1876) a accueillis à Nohant, dans l’Indre, faisant du domaine que lui avait légué sa grand-mère en terre berrichonne un lieu vivant de 1oct. 2018 - Explorez le tableau « des lettres » de Aline, auquel 1 294 utilisateurs de Pinterest sont abonnés. Voir plus d'idées sur le thème des lettres, lettre a, conscience morale. 3tajfWe. Conseils d'une mère .. " Travaille, sois fort, sois fier, sois indépendant, méprise les petites vexations attribuées à ton âge. Réserve ta force de résistance pour des actes et contre des faits qui en vaudront la peine. Ces temps viendront. Si je n’y suis plus, pense à moi qui ai souffert et travaillé gaiement. Nous nous ressemblons d’âme et de visage. Je sais dès aujourd’hui quelle sera ta vie intellectuelle. Je crains pour toi bien des douleurs profondes, j’espère pour toi des joies bien pures. Garde en toi le trésor de la bonté. Sache donner sans hésitation, perdre sans regret, acquérir sans lâcheté. Sache mettre dans ton cœur le bonheur de ceux que tu aimes à la place de celui qui te manquera ! Garde l’espérance d’une autre vie ; c’est là que les mères retrouvent leurs fils. Aime toutes les créatures de Dieu ; pardonne à celles qui sont disgraciées ; résiste à celles qui sont iniques ; dévoue-toi à celles qui sont grandes par la vertu." Note George Sand est le pseudonyme d'Amantine Aurore Lucile Dupin, baronne Dudevant, romancière, auteur dramatique, critique littéraire française, journaliste, née à Paris le 1er juillet 1804 et morte au château de Nohant-Vic le 8 juin 1876. Elle compte parmi les écrivains prolifiques avec plus de soixante-dix romans à son actif, cinquante volumes d'œuvres diverses dont des nouvelles, des contes, des pièces de théâtre et des textes politiques. À l'image de son arrière grand-mère par alliance qu'elle admire, Madame Dupin Louise de Fontaine 1706-1799, George Sand prend la défense des femmes, prône la passion, fustige le mariage et lutte contre les préjugés d'une société conservatrice. George Sand a fait scandale par sa vie amoureuse agitée, par sa tenue vestimentaire masculine, dont elle a lancé la mode, par son pseudonyme masculin, qu'elle adopte dès 18294, et dont elle lance aussi la mode après elle, Marie d'Agoult signe ses écrits Daniel Stern 1841-1845, Delphine de Girardin prend le pseudonyme de Charles de Launay en 1843. Malgré de nombreux détracteurs comme Charles Baudelaire ou Jules Barbey d'Aurevilly, George Sand contribue activement à la vie intellectuelle de son époque, accueillant au domaine de Nohant ou à Palaiseau des personnalités aussi différentes que Franz Liszt, Frédéric Chopin, Marie d'Agoult, Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Eugène Delacroix, conseillant les uns, encourageant les autres. Elle a entretenu une grande amitié avec Victor Hugo par correspondance, ces deux grandes personnalités ne se sont jamais rencontrées. Elle s'est aussi illustrée par un engagement politique actif à partir de 1848, inspirant Alexandre Ledru-Rollin, participant au lancement de trois journaux La Cause du peuple, Le Bulletin de la République, l'Éclaireur, plaidant auprès de Napoléon III la cause de condamnés, notamment celle de Victor Hugo dont elle admirait l'œuvre et dont elle a tenté d'obtenir la grâce après avoir éclipsé Notre Dame de Paris avec Indiana, son premier roman. Son œuvre est très abondante et la campagne du Berry lui sert souvent de cadre. Ses premiers romans, comme Indiana 1832, bousculent les conventions sociales et magnifient la révolte des femmes en exposant les sentiments de ses contemporaines, chose exceptionnelle à l'époque et qui divisa aussi bien l'opinion publique que l'élite littéraire. Puis George Sand ouvre ses romans à la question sociale en défendant les ouvriers et les pauvres Le Compagnon du Tour de France et en imaginant une société sans classes et sans conflit Mauprat, 1837 - Le Meunier d'Angibault, 1845. Elle se tourne ensuite vers le milieu paysan et écrit des romans champêtres idéalisés comme La Mare au diable 1846, François le Champi 1848, La Petite Fadette 1849, Les Maîtres sonneurs 1853. George Sand a abordé d'autres genres comme l'autobiographie Histoire de ma vie, 1855 et le roman historique avec Consuelo 1843 où elle brosse, à travers la figure d'une cantatrice italienne, le paysage artistique européen du XVIIIe siècle, ou encore Les Beaux Messieurs de Bois-Doré 1858 qui multiplie les péripéties amoureuses et aventureuses dans le contexte des oppositions religieuses sous le règne de Louis XIII. Disponible sur [Lamartine], jésuite naïf, espèce de Lafayette qui veut être président de la République, et qui en viendra à bout […] parce qu’il ménage toutes les idées et tous les hommes, sans croire à aucune idée et sans aimer aucun homme. George Sand, lettre à son fils Maurice, fin avril 1848. Après la difficile année 1847 rupture avec Chopin, difficultés du couple que forme sa fille Solange avec le sculpteur Clésinger, 1848 est, à plusieurs titres, une année cruciale pour George Sand elle vient de se mettre à l’écriture de l’Histoire de ma vie ; elle s’engage corps et âme dans la révolution, et, après le 15 mai, s’en retire profondément découragée ; elle ne composera plus ensuite de ses romans socialistes » comme Le Compagnon du Tour de France 1840, Horace 1841, La Comtesse de Rudolfstadt 1843, Jeanne 1844, Le Meunier d’Angibault 1845, ou Le Péché de Monsieur Antoine 1847. Ce sont l’avocat Michel de Bourges et Pierre Leroux qui l’ont initiée au socialisme à la fin des années 1830. Elle a fondé avec ce dernier La Revue indépendante en 1841. Deux ans plus tard, Leroux s’est installé comme imprimeur à Boussac, non loin de Nohant, et y a créé une communauté socialiste. Il y imprimait aussi L’Éclaireur de l’Indre, créé par Sand en 1843 [1]. Elle s’est ainsi forgée peu à peu une doctrine sociale, chrétienne et utopique qui prône la création de communautés fraternelles pour dépasser les antagonismes de classes. En 1847-1848, elle s’éloigne de Leroux qu’elle soutient matériellement depuis des années mais qui lui semble maintenant vivre un peu en parasite. Elle dit de lui Entre le génie et l’aberration, il y a souvent l’épaisseur d’un cheveu » lettre du 22 janvier 1848 à Mazzini. Leroux est élu à l’Assemblée à Paris en juin 1848 et s’attire les moqueries de la presse par son accoutrement et sa maladresse. Il est davantage un homme de réflexion que d’action. Sand s’est rapprochée de Louis Blanc et collabore à La Réforme de Ledru-Rollin. Aussitôt après la révolution, elle arrive à Paris le 1er mars, inquiète, à la recherche de son fils Maurice qu’elle retrouve sain et sauf. Elle retourne à Nohant du 8 au 21, pour regagner ensuite la capitale, créant l’hebdomadaire La Cause du peuple et rédigeant jusqu’au 29 avril, sans les signer, des articles pour le Bulletin de la République, où elle tente de convaincre les campagnes de payer l’impôt républicain et de voter pour la République. Son adresse est alors le 8 rue de Condé, chez Maurice. Le 16 avril, le 15 mai et juin 1848 provoquent la ruine de ses espoirs de révolution sociale. Elle s’éloigne du gouvernement, qu’elle assimile à un pouvoir bourgeois. Elle repart à Nohant le 17 mai au soir. Elle a attendu deux jours après le 15, s’attendant à être arrêtée mais ne voulant pas donner l’impression qu’elle fuit. Après son retrait du Bulletin et l’échec de La Cause du peuple, elle collabore à La Vraie République du socialiste Thoré. Elle écrit à un cousin le 20 mai Les meneurs de la véritable idée sociale ne sont guère plus éclairés que ceux qu’ils combattent et jouent trop la partie à leur profit. […] [Le peuple] manque de guides à la hauteur de leur mission ». En juillet, elle partage la tristesse de Lamennais, et l’exprime en particulier à son éditeur Hetzel. Le 1er juin 1848, elle reprend la rédaction de Histoire de ma vie, dont la publication commence à l’automne 1854 dans La Presse de Girardin elle aurait pu commencer plus tôt, mais l’éditeur craignait la censure impériale. Sand ne s’épanche sur 1848 ni dans ces mémoires, ni ailleurs dans son œuvre, se contentant de l’évoquer dans la préface de La Petite Fadette, composée en août 1848. Elle écrit le 22 décembre dans La Réforme Le peuple n’est pas politique. […] Mais un peu de patience. Dans peu de temps, le peuple sera socialiste et politique, et il faudra bien que la république soit à son tour l’un et l’autre ». Elle pense maintenant que seules la patience, la sagesse et la raison permettront au peuple d’évoluer vers la république sociale. Il lui faudra attendre 23 ans pour que la Commune de Paris confirme cette prophétie. Mais la révolution sociale se heurte alors à l’incompréhension de Sand, sinon à sa haine. Influencée par Flaubert, Dumas Fils et d’autres, elle ira même jusqu’à attaquer Hugo pour sa clémence envers les Communards.[1] La politique de L’Éclaireur se rapprochait de celle du journal parisien La Réforme, sur lequel régnait Ledru-Rollin, avocat de verve facile, de belle prestance, au sourire aimable, mais paresseux et assez opportuniste, car il avait fait un mariage riche et courait les femmes André Maurois, Lélia ou la vie de George Sand. Accueil Galerie Galerie George Sand Galerie Nohant autrefois Galerie Nohant Galerie Nohant intérieur Mes livres George Sand Maurice Sand Aurore Sand Autres auteurs Mes thèmes Archives Archives manuscrites Coupures de journaux Coupures de journaux part2 Catalogues d’exposition Contact et liens Mes thèmes Archives Archives manuscrites Coupures de journaux Coupures de journaux part2 Catalogues d’exposition Contact et liens Les Amis de Flaubert – Année 1956 – Bulletin n° 8 – Page 23 George Sand à Croisset et Flaubert à Nohant À première vue, il semble que l’amitié si affectueuse et si solide qui liait l’auteur de Madame Bovary à celui de Lélia ne se soit manifestée que dans leur correspondance. Plus de quatre cents lettres, en effet, réparties assez régulièrement sur un espace de dix ans, attestent l’intérêt et l’attachement jamais défaillants que se vouaient les deux écrivains amis. D’autre part, au cours de quinze années, de 1859, date de leur première rencontre, jusqu’à la mort de Sand, en 1876, les entrevues ont été plutôt rares, se bornant aux brefs moments où ils se trouvaient simultanément à Paris. Trois fois cependant, on le sait, George Sand a passé quelques jours chez Flaubert, à Croisset, et deux fois, Flaubert lui rendait sa visite à Nohant. Il est peut-être intéressant de reproduire ici le texte complet des notes que G. Sand a jetées sur son Journal au cours de ces journées pleines de charme. Malgré le style peu soigné et les phrases construites avec négligence, on y saisit sur le vif l’atmosphère de cordialité et de confiance qui caractérisait ces séjours 1. SAND À CROISSET, 28-30 Août 1866 Au mois d’août 1866, G. Sand se trouve à Paris pour les représentations des Don Juan de Village, pièce qu’elle avait écrite en collaboration avec son fils Maurice. Le 22, elle fait savoir à Flaubert qu’elle a l’intention de lui rendre visite à Croisset, en revenant d’un séjour chez Alexandre Dumas fils, à Saint-Valéry 2. Flaubert répond aussitôt par un télégramme et une lettre 3, fait préparer une chambre et se hâte d’annoncer la bonne nouvelle à sa nièce, afin qu’elle puisse venir voir la célèbre romancière Ta grand’mère a voulu que je t’avertisse de cela, de peur que tu ne sois ensuite fâchée… de n’avoir pas vu Mme Sand » 4. Un moment, un rhume qui la retient au logis menace de gâter le plaisir, mais il faut croire que le mal s’est retiré à temps, puisque la voilà qui arrive Mardi, 28 août 5 … J’arrive à Rouen à une heure. Je trouve Flaubert à la gare avec une voiture. Il me mène voir la ville, les beaux monuments, la cathédrale, l’hôtel de ville, Saint-Maclou, Saint-Patrice 6 c’est merveilleux. Un vieux charnier 7 et des vieilles rues, c’est très curieux. Nous arrivons à Croisset à trois heures et demie. La mère de Flaubert est une vieille charmante. L’endroit est silencieux, la maison confortable et jolie et bien arrangée. Et un bon service, de la propreté, de l’eau, des prévisions, tout ce qu’on peut souhaiter. Je suis comme un coq en pâte. Flaubert me lit le soir une Tentation de Saint-Antoine 8 superbe. Nous bavardons dans son cabinet jusqu’à deux heures. Mercredi, 29 août Nous partons à onze heures par le bateau à vapeur, avec Mme Flaubert, sa nièce, son amie, Mme Vasse 9, et la fille de celle-ci, Mme de la Chaussée. Nous allons à La Bouille 10. Un temps affreux, pluie et vent. Mais je reste dehors à regarder l’eau qui est superbe. Et les rives idem. À La Bouille, on reste dix minutes, et on revient, avec la barre, ou le flot, ou le Mascaret, raz-de-marée On est rentré à une heure. On fait du feu, on se sèche, on prend du thé. Je repars avec Flaubert pour faire le tour de sa propriété, jardin, terrasses, verger, potager, ferme, citadelle, une vieille maison de bois bien curieuse qui lui sert de cellier, – la Sente de Moïse 11. La vue d’en haut sur la Seine, le verger, abri excellent tout en haut, le terrain sec et blanc au-dessus, tout charmant, très poétique. Je m’habille ; on dîne très bien. Je joue aux cartes avec les deux vieilles dames. Je cause ensuite avec Flaubert et je me couche à deux heures. Excellent lit ; on dort bien. Mais je retousse ; mon rhume est mécontent tant pis pour lui. Jeudi, 30 août Départ de Croisset à midi avec Flaubert et sa nièce. Nous la déposons à Rouen. Nous revoyons la ville, le port 12, c’est vaste et superbe. Un beau baptistère dans une église de Jésuites 13. Flaubert m’emballe. Ils sont contents tous les deux de cette visite qui leur a permis de mieux se connaître. Toi, tu es un brave et bon garçon, tout grand homme que tu es, et je t’aime de tout mon cœur », lui écrit-elle le lendemain de son départ 14. Et Flaubert de répondre Vous avez extrêmement plu à tout le monde. C’est comme ça ! on ne tient pas contre l’irrésistible et involontaire séduction de votre personne » 15. Déjà, ils éprouvent le besoin d’un épanchement plus intime encore. Vous êtes un être très à part, mystérieux », lui dit-elle peu après. J’ai eu de grandes envies de vous questionner, mais un trop grand respect de vous m’en a empêchée » 16. L’occasion se présentera bientôt. Car voilà que la première représentation de la Conjuration d’Amboise appelle Flaubert à Paris Après la pièce de Bouilhet, rien ne vous empêchera, j’espère, de revenir ici avec moi, non pour un jour comme vous dites, mais pour une semaine au moins. Vous aurez votre chambre, avec un guéridon et tout ce qu’il faut pour écrire » 17. George Sand, qui vient de rentrer à Nohant, après un voyage en Bretagne, accepte de bon cœur Je ferai mon possible pour être à Paris à la représentation de la pièce de votre ami, et j’y ferai mon devoir fraternel comme toujours ; après quoi, nous irons chez vous et j’y resterai huit jours… Nous bavarderons, vous et moi, tant et plus. S’il fait beau, je vous forcerai à courir. S’il pleut toujours, nous nous cuirons les os des guibolles en nous racontant nos peines de cœur » 18. La première a lieu le 29 octobre 1866, et quelques jours après, Sand et Flaubert partent ensemble pour Croisset SAND À CROISSET, 3-10 novembre 1866 Samedi, 3 novembre 19 Départ de Paris à une heure avec Flaubert. Express très rapide. Temps délicieux, charmant pays, bonne causerie. A Rouen-gare, nous trouvons Mme Flaubert et son autre fils, le médecin 20. À Croisset, tour de jardin, causerie, dîner, recauserie et lecture jusqu’à une heure et demie. Bon lit, sommeil de plomb. Dimanche, 4 novembre Temps ravissant. Tour de jardin jusqu’au verger. Travail. Je suis très bien dans ma chambrette ; il y fait chaud. À dîner, la nièce et son mari, la vieille dame Crépet 21, tante du Crépet de Valentine. Elle s’en va demain. Patiences. Gustave me lit ensuite la féerie 22. C’est plein de choses admirables et charmantes ; trop long, trop riche, trop plein. Nous causons encore. A deux heures et demie, j’ai faim ; nous descendons chercher du poulet froid à la cuisine. Nous sortons une tête dans la cour pour chercher de l’eau à la pompe. Il fait doux comme au printemps. Nous mangeons, nous remontons, nous fumons, nous recausons ; nous nous quittons à quatre heures du matin. Lundi, 5 novembre Toujours un temps délicieux. Après déjeuner, nous allons nous promener. J’entraîne Gustave qui est héroïque 23. Il s’habille et il me conduit à Canteleu ; c’est à deux pas, en haut de la côte. Quel adorable pays, quelle douce, large et belle vue ! Je rapporte une charge de polypiers de silex 24 ; il n’y a que de ça ! Nous rentrons à trois heures. Je travaille. Après dîner, recauserie avec Gustave. Je lui lis Cadio 25. Nous recausons et nous soupons, d’une grappe de raisin et d’une tartine de confitures. Mardi, 6 novembre Il pleut. Nous partons à une heure, en bateau à vapeur, pour Rouen, avec la maman. Je vas 26 avec Gustave au Cabinet d’Histoire naturelle ; reçus par M. Pouchet 27 sourd comme un pot et malade, et faisant des efforts inouïs pour être charmant. Impossible d’échanger un mot avec lui. Mais de temps en temps, il explique, et c’est intéressant. L’aptéryx 28 ; le longipode ; le nid de quatre-vingts mètres de tour, avec les œufs abandonnés dans le fumier ; les petits qui naissent avec des plumes ; collection de coquilles superbe. Cabinets de M. Pouchet son araignée vivante, mangeuse d’oiseaux, son crocodile 29. Nous descendons au Musée des Faïences ; jardin, statues, fragments, porte de Corneille 30. Nous rentrons dîner chez Mme Caroline Commanville 31. Ensuite à la ménagerie Schmidt 32. Superbes animaux apprivoisés comme des chiens. Les fœtus ; la femme à barbe ; une pantomime foire Saint-Romain 33. Nous rentrons à minuit et demi à Croisset, avec la maman qui est très vaillante et qui a fait une grande course à pied. Nous causons encore jusqu’à deux heures. Mercredi, 7 novembre Temps gris, pas froid. Tour de jardin. Travail à Montrevèche 34. Journée raisonnable. Le soir, Flaubert me lit la première partie de son roman 35. C’est bien, bien. Il lit depuis dix heures jusqu’à deux. Nous causons jusqu’à quatre. Jeudi, 8 novembre Même temps gris. Tour de jardin. Travail. Dîner. Causerie. Lecture du roman de Flaubert. Causerie. Vendredi, 9 novembre Malade ce matin. Je ne déjeune pas. Beau temps. Le soleil se montre un peu. Je travaille. Je fais ma malle. Samedi, 10 novembre Je quitte Croisset, bien portante ou à peu près, à midi et demi. Flaubert et sa mère me conduisent à la gare. Je pars à une heure trois-quarts. En arrivant à Paris, ce samedi soir-là, Sand apprend la mort de son ami Charles Duveyrier. Malade de chagrin, elle s’épanche à Flaubert dans quelques lettres toutes pleines de mélancolie. Je vous donne la part de mon cœur qu’il avait », lui écrit-elle. …Aimez-moi plus qu’avant puisque j’ai de la peine » 36. Car ils sont bien familiers maintenant, remplis d’admiration l’un pour l’autre, étonnés de se découvrir si différents et de s’aimer tout de même, heureux de s’entendre, malgré leurs conceptions littéraires diamétralement opposées. Écoutons Flaubert dans la première lettre écrite après le départ de son amie Sous quelle constellation êtes-vous donc née pour réunir dans votre personne des qualités si diverses, si nombreuses et si rares ? Je ne sais pas quelle espèce de sentiment je vous porte, mais j’éprouve pour vous une tendresse particulière et que je n’ai ressentie pour personne jusqu’à présent. Nous nous entendions bien, n’est-ce pas ?… Nous nous sommes séparés au moment où il allait nous venir sur les lèvres bien des choses. Toutes les portes, entre nous deux, ne sont pas encore ouvertes. Vous m’inspirez un grand respect, et je n’ose pas vous faire de questions » 37. Et voici son opinion exprimée dans une lettre à Mme Roger des Genettes, et qui semble sincère Mon illustre amie, Mme Sand, m’a quitté samedi soir. On n’est pas meilleure femme, plus bon enfant, et moins bas-bleu. Elle travaillait toute la journée, et le soir nous bavardions comme des pies jusqu’à des trois heures du matin. Quoi qu’elle soit un peu trop bienveillante et bénisseuse, elle a des aperçus de très fin bon sens, pourvu qu’elle n’enfourche pas son dada socialiste. Très réservée en ce qui la concerne, elle parle volontiers des hommes de 48 et appuie volontiers sur leur bonne volonté plus que sur leur intelligence » 38. C’est à partir de ce séjour-là qu’ils commencent à s’adresser cette correspondance admirable par laquelle, discutant et défendant les questions les plus élevées et les plus diverses, sans jamais pleinement s’accorder, ils ont érigé un des monuments les plus curieux et les plus importants de la littérature française. L’année s’écoule. Flaubert travaille péniblement à son Éducation Sentimentale ; G. Sand, avec sa facilité ordinaire, continue Montrevèche et Cadio. Il y a bien, de part et d’autre, quelques projets de visite, que la maladie fait échouer. Deux fois même, en septembre 1867, G. Sand passe tout près de Croisset, pendant un voyage en Normandie, mais Flaubert n’est pas là pour l’accueillir. En mai 1868 pourtant, elle va se rendre encore aux instances de son ami. Ils ont l’intention de partir ensemble pour Croisset vers le 20, malgré l’inquiétude qu’inspire à Sand la maladie de son amie Esther Lambert 39. Mais voilà que, tout à coup, Flaubert, exaspéré au plus haut point par les bruits de Paris qui l’empêchent de dormir, se résout à quitter la capitale et à retourner à Croisset 40. G. Sand le suivra peu de jours après SAND À CROISSET, 24-26 mai 1868 Dimanche. 24 mai 41 …Je voyage avec un militaire qui me réveille en me tapant sur l’épaule pour m’offrir du sucre d’orge. Nous nous quittons bons amis. Flaubert m’attend à la gare et me force à aller pisser pour que je ne devienne pas comme Sainte-Beuve 42. Il pleut à Rouen, comme toujours. Je trouve la maman moins sourde, mais plus de jambes, hélas ! Je déjeune, je cause en marchant sous la charmille que la pluie ne perce pas Je dors une heure et demie sur un fauteuil et Flaubert sur son divan. Nous recausons. On dîne avec la nièce, son mari et Mme Frankline 43. Gustave me lit ensuite une farce religieuse 44. Je me couche à minuit. Lundi, 25 mai Croisset. Temps superbe. On déjeune et on va en voiture à Saint-Georges 45, par une cavée charmante au milieu des bois. Des tas de fleurs partout le géranium purpureum superbe ; des polygalas, une scrophulaire. Le Saint-Georges, ancienne abbaye romane très belle ; salle de chapitre très conservée. On va à Duclair 46, où on laisse reposer les chevaux, et on revient par Canteleu où je monte sur le siège pour voir le pays admirable. La descente, enchantée. On dîne avec les mêmes et M. Commanville qui a le front plat. Mme Frankline chante, mal. Nous montons à neuf heures. Flaubert me lit trois cents pages excellentes 47 et qui me charment. Je me couche à deux heures. Je tousse beaucoup. Le tulipier est couvert de fleurs 48. Mardi, 26 mai Partie de Croisset à midi avec Gustave. Bibliothèque de la ville, visite à Bouilhet ahuri 49. Départ à une heure et demie. Pionçade jusqu’à Paris… Je vas dîner avec Maxime Du Camp ; il est bien gentil, brave cœur… À peine G. Sand partie, Flaubert la regrette mélancoliquement Je pense à vous », lui écrit-il le 28 mai déjà. Je m’ennuie de vous et je voudrais vous revoir, voilà… Il faudra s’arranger pour venir ici cet automne passer une quinzaine » 50. Car il semble qu’il a besoin d’elle pour lui remonter le moral » qui est déjà bien bas souvent. Voici comment il s’exprime à ce sujet dans une lettre à Mlle Leroyer de Chantepie J’ai eu pendant quelques jours, le mois dernier, la visite de notre amie Mme Sand. Quelle nature ! Quelle force ! Et personne en même temps n’est d’une société plus calmante. Elle vous communique quelque chose de sa sérénité » 51. Mais l’automne passe, et pas de G. Sand à Croisset ! La visite dont elle vient de nous raconter les détails aura été la dernière ! D’autre part, Flaubert aussi décline les invitations. En avril 1868 déjà, il lui a écrit Je serais perdu si je bougeais d’ici la fin de mon roman. Votre ami est un bonhomme en cire ; tout s’imprime dessus, s’y incruste, y entre. Revenu de chez vous, je ne songerais plus qu’à vous, et aux vôtres, à votre maison, à vos paysages, aux mines des gens que j’aurais rencontrés, etc. Il me faut de grands efforts pour me recueillir ; à chaque moment je déborde » 52. Pour la même raison, il refuse d’assister au baptême des petites-filles de G. Sand, en décembre 1868, fête à laquelle on l’invite avec instance Si j’allais chez vous à Nohant, j’en aurais ensuite pour un mois de rêverie sur mon voyage. Des images réelles remplaceraient dans mon pauvre cerveau les images fictives que je compose à grand’peine. Tout mon château de cartes s’écroulerait » 53. Le roman avant tout en effet, avant l’amour, avant l’amitié, avant le bonheur personnel ! C’est comme ça chez Flaubert, hélas ! L’Éducation Sentimentale achevée, voilà un autre empêchement la mort de son ami le plus intime, son alter ego, Louis Bouilhet. Flaubert va se mettre en quatre, sans succès d’ailleurs, pour faire jouer une de ses pièces posthumes Mademoiselle Aïssé 54. Enfin, il promet sa visite pour Noël 1869. Sand, devenue sceptique, lui rappelle cette promesse tous les jours, avec parfois un peu d’ironie malicieuse Lina 55 me charge de te dire qu’on t’autorisera à ne pas quitter ta robe de chambre et tes pantoufles. Il n’y a pas de dames, pas d’étrangers. Enfin, tu nous rendras bien heureux et il y a longtemps que tu promets… » 56. Cette fois-ci pourtant, c’est pour de bon FLAUBERT À NOHANT, 23-28 décembre 1869 Jeudi, 23 décembre 57 … Flaubert et Plauchut 58 arrivent à cinq heures et demie. On s’embrasse, on dîne, on cause, on joue du python 59 et des airs arabes. Flaubert raconte des histoires. On se quitte à une heure. Vendredi, 24 décembre Pluie et neige toute la journée. On est gai… Je descends déjeuner avec les autres à onze heures. Flaubert donne aux fillettes 60 des étrennes qui les charment. Lolo porte son bébé toute la journée. Elle joue dans ma chambre où je reçois Flaubert et Plauchut. Et elle fait leur admiration. Elle a sa belle toilette ; Titite aussi. Tous les jeunes gens 61 viennent et dînent. Après, les marionnettes, la tombola, un décor féerique. Flaubert s’amuse comme un moutard. Arbre de Noël sur le théâtre. Cadeaux à tous. Lolo s’amuse ; elle est charmante et va se coucher sagement. Lina chaude et ravie. On fait Réveillon splendide. Je monte à trois heures. Samedi, 25 décembre On déjeune à midi. Tout le monde est resté, sauf Planet. Flaubert nous lit de trois à six heures et demie sa grande féerie 62, qui fait grand plaisir, mais qui n’est pas destinée à réussir. Elle nous plaît fort ; on en cause beaucoup. Comme on dîne tard, Lolo dîne avec sa sœur. Je l’ai à peine vue aujourd’hui. On est très gai ce soir. Flaubert nous fait crever de rire avec l’Enfant prodigue 63. Dimanche, 26 décembre Beau temps bien froid. On sort au jardin, même Flaubert qui veut voir la ferme. Nous allons partout. On lui présente le bélier Gustave. On cause au salon, on est calme. Les fillettes charmantes. René et Edme s’en vont. À trois heures, Maurice se décide à jouer avec Edme une improvisation, qui est charmante. Le premier acte admirablement réussi, le second trop long ; mais très comique encore. Flaubert rit à se tordre. Il apprécie les marionnettes. Edme est excellent, plein d’esprit. Je monte à deux heures. Lundi, 27 décembre Il neige sans désemparer. Fadet 64 ne veut pas mettre la patte dehors. On déjeune à midi. Lolo danse toutes ses danses. Flaubert s’habille en femme et danse le cachucha 65 avec Plauchut. C’est grotesque ; on est comme des fous. Visite de M. et Mme Duvernet 66 qui nous calme. Visite du docteur. Edme et Antoine 67 parlent. Nous passons sagement la soirée à causer. Adieux de Flaubert. Décidément, Flaubert est conquis par le monde de Nohant. Pendant toute la route, je n’ai pensé qu’à Nohant », écrit-il le 30 décembre Je ne peux pas vous dire combien je suis attendri de votre réception. Quels braves et aimables gens vous faites tous. Maurice me semble l’homme heureux par excellence, et je ne puis m’empêcher de l’envier, voilà ! Bécotez de ma part Mlle Lolo, dont je m’ennuie extrêmement. Mes compliments à Coq-en-bois 68 et à tous les chers lubriques » dont j’ai partagé les festins. Et puisque c’est le moment des souhaits de bonne année, je vous souhaite à tous la même continuation, car je ne vois pas ce qui vous manque » 69. Les événements de 1870-71 empêchent provisoirement Flaubert de faire un nouveau séjour en Berry. Quant à G. Sand, elle vieillit peu à peu ; souvent malade, elle n’aime plus tellement les voyages ; elle préfère rester tranquillement dans son intime Nohant, au milieu d’une famille et d’amis qui l’adorent. Elle fait pleuvoir les invitations sur la tête de Flaubert qui, de plus en plus maussade et misanthrope, se dérobe toujours. Sand le lui reproche affectueusement Triste ou gai, je t’aime et je t’attends toujours, bien que tu ne parles jamais de venir nous voir et que tu en regrettes l’occasion avec empressement ; on t’aime chez nous quand même ; on n’est pas assez littéraire pour toi, chez nous, je le sais ; mais on aime et ça emploie la vie » 70. Il promet à la fin de venir en janvier 1873, avec son grand ami Tourgueneff. Mais le temps s’écoule ; Flaubert est retenu au logis par une grippe tenace. Et quand il est guéri, voilà que l’écrivain russe, poire molle », comme le caractérise Flaubert, ne fait que différer la visite de jour en jour. Enfin, ils font le serment solennel » de partir le 12 avril, veille de Pâques. Mais c’est Flaubert seul qui entreprend le voyage, et Tourgueneff, étant encore retenu à Paris, n’arrivera que le 16 FLAUBERT A NOHANT. 12-19 avril 1873 Samedi, 12 avril 71 …Flaubert arrive pendant le dîner. Il a plutôt maigri qu’engraissé. Plauchut, qui se croit mince, est aussi gros que lui. On joue au domino ; Flaubert y joue bien, mais ça l’étouffe. Il aime mieux causer avec feu. Plauchut, démocrate en chambre, soutient la bordée ; Maurice va de l’un à l’autre. J’écoute. Dimanche, 13 avril, jour de Pâques Enfin, le soleil est revenu, il fait beau. Lina fête le printemps à déjeuner il y a des fleurs sur la nappe et on mange du poussin. On va au jardin, à la ferme, aux étables, à Gustave 72, à toutes les bêtes. Flaubert fouille la bibliothèque et ne trouve rien qu’il ne connaisse. René et le Docteur viennent dîner ; après, on danse. Flaubert met une jupe et essaie le fandango 73. Il est bien drôle, mais il étouffe au bout de cinq minutes. Il est bien plus vieux que moi. Pourtant, je le trouve moins gros et moins fatigué d’aspect. Toujours trop vivant par le cerveau au détriment du corps. Notre vacarme l’assourdit. Plauchut est comme fou. Maurice a été dans la brande avec Aurore. Ils ont découvert une mardelle 74, enfin ! Elle est ivre d’air et de plaisir. Ce soir, elle danse. Domino avec les jeunes gens. Vers minuit, Maurice épate Flaubert avec ses papillons 75. Lundi, 14 avril Très beau temps, trop chaud à midi. Jardin. Leçon de Lolo 76, qui est enrhumée du cerveau et qui a ce soir un petit mouvement de fièvre après dîner. Flaubert nous lit son Saint-Antoine 77, de trois à six et de neuf à minuit. C’est splendide. René et le Docteur sont venus et dînent. Ferri 78 arrive au beau milieu de la lecture, entend avec grand plaisir deux chapitres et va dîner chez Angèle 79, pour revenir demain matin. René est enchanté, le Docteur très intéressé, moi tout à fait saisie et satisfaite, Plauchut épaté et comme roué de coups, Maurice très empoigné, jusqu’à avoir mal à la tête assez fort. Mardi, 15 avril Très beau temps. Journée dehors à causer au jardin tout en fleurs, sans trop de rien, c’est-à-dire sans rien de trop au ciel et sur la terre. Ferri est venu déjeuner avec nous. Il est toujours charmant ; il s’en va à deux heures. Je reste encore avec Flaubert à causer jusqu’à quatre heures. Je donne la leçon à Lolo. Le soir, on cause, on rit. Mercredi, 16 avril Journée grise, très chaude, mais très agréable. Nous partons pour la brande à midi ; nous allons tous voir la mardelle que Maurice a découverte avec Lolo. C’est un grand trou où se rend une eau tourbeuse ; c’est tapissé de grandes fougères sèches sous lesquelles poussent au fond des herbes fraîches, des viola corrina, pulicaires, primevères et de jeunes arbres. Promenade à pied dans les genêts autour d’un joli bois de pins. Les orchis commencent à fleurir ; ce rose est charmant. Lolo marche comme un petit homme et Titite pas mal. On rentre pour s’habiller et dîner. Tourgueneff arrive à la fin. Il va bien ; il est ingambe et rajeuni 80. On cause jusqu’à minuit. Jeudi, 17 avril Mauvais temps. Je ne sors pas ; les enfants non plus. Leçon d’Aurore. Causerie avec Tourgueneff et Flaubert. Tourgueneff nous lit une drôlerie très animée. Les jeunes gens viennent dîner. On mange la dinde truffée, le pair de Plauchut. Après, on saute, on danse, on chante, on crie, on casse la tête à Flaubert qui veut toujours tout empêcher pour parler littérature. Il est débordé. Tourgueneff aime le bruit et la gaîté ; il est aussi enfant que nous. Il danse, il valse. Quel bon et brave homme de génie ! Maurice nous lit la Balade à la Nuit, on ne peut mieux. Il a grand succès. Il épate Flaubert à propos de tout. Vendredi, 18 avril Joli temps. Il a plu considérablement. La fosse a monté une marche. Tout fleurit, les lilas, les cragaegi 81 ; les arbres de Sainte-Lucie passent déjà. Jardin tout le monde. Leçon de Lolo. Causerie de Flaubert bien animée et drôle, mais il n’y en a que pour lui, et Tourgueneff, qui est bien plus intéressant, a peine à placer un mot. Ce soir, c’est un assaut jusqu’à une heure. Enfin, on se dit adieu. Ils partent demain matin. Plauchut reste pour m’attendre. Samedi, 19 avril On, vit avec le caractère plus qu’avec l’intelligence et la grandeur. Je suis fatiguée, courbaturée, de mon cher Flaubert. Je l’aime pourtant beaucoup et il est excellent, mais trop exubérant de personnalité. Il nous brise. Il pleut à verse depuis midi. Je donne la leçon, à Lolo. J’écris des lettres ; je ne sors pas. Ce soir, on danse, on fait du bruit, on joue aux dominos, on est bête avec délices. On regrette Tourgueneff qu’on connaît moins, qu’on aime moins, mais qui a la grâce de la simplicité vraie et le charme de la bonhomie. Est-ce à dire que Flaubert se soit peu amusé à Nohant ? Voici ce qu’il écrit à son amie, quelques jours après son départ Il n’y a que cinq jours depuis notre séparation et je m’ennuie de vous comme une bête. Je m’ennuie d’Aurore et de toute la maisonnée, jusqu’à Fadet. Oui, c’est comme ça ; on est si bien chez vous ! vous êtes si bons et si spirituels ! Pourquoi ne peut-on vivre ensemble ? Pourquoi la vie est-elle toujours mal arrangée ? Maurice me semble être le type du bonheur humain. Que lui manque-t-il ? Certainement il n’a pas de plus grand envieux que moi » 82. Mais c’est bien la dernière fois que Flaubert est allé chez son amie à Nohant, malgré plusieurs invitations pressantes. Ils ne se reverront plus qu’à Paris, le mois suivant. Et puis, c’est tout. Elle meurt, la bonne dame de Nohant », le 8 juin 1876, et parmi les amis venus de Paris pour assister à son enterrement, se trouve Flaubert, pleurant comme un veau ». Il fallait la connaître comme je l’ai connue », écrit-il peu après à Mlle Leroyer de Chantepie, pour savoir tout ce qu’il y avait de féminin dans ce grand homme, l’immensité de tendresse qui se trouvait dans ce génie. Elle restera une des illustrations de la France et une gloire unique » 83. Aurait-il pu mieux exprimer l’admiration, le respect, la tendresse qu’il avait voués à celle qu’il appelait sa chère maître » ? Jacobs. 1 Nous avons pu copier ces passages à la Bibliothèque Nationale, grâce à la bienveillance de Mme Cordroc’h, bibliothécaire au Département des Manuscrits ; qu’elle veuille bien accepter nos vifs remerciements. Une partie importante de ces relations a été publiée par M. André Maurois dans son beau livre Lélla ou la Vie de George Sand, Paris, Hachette, 1952. Nous remercions l’auteur qui a bien voulu nous permettre de reproduire ces passages pour rendre notre récit aussi complet que possible. Pour l’annotation de cet article, enfin, nous devons plusieurs renseignements à M. Jacques. Toutain, Président des Amis de Flaubert, dont on connaît le zèle infatigable pour rendre service aux admirateurs du grand maître de Croisset. 2 Cf. Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert, Paris, Calmann-Lévy, s. cl. 1916, p. 10, lettres n° XII et XIII. 3 Œuvres complètes de Gustave Flaubert. Correspondance, t. V, 1929, lettre n° 862. 4 Ibid. n° 861. 5 Agenda de G. Sand, 1866. Bibl. Nat., Département des Manuscrits, nouv. acq. fr. 6 Saint Maclou, église de style gothique flamboyant, de pierre entièrement sculptée, une des merveilles de Rouen ; Saint-Patrice, église gothique, connue surtout par ses vitraux magnifiques. 7 Ancien cimetière situé à côté de l’église Saint-Maclou et dont les bâtiments existent toujours Aître Saint-Maclou. 8 Il s’agit évidemment de la version de 1806. 9 Mme Vasse G. Sand écrit Mme Vaas était une amie d’enfance de Mme Flaubert. Une de ses filles, Coralie, était l’épouse de l’officier M. de la Chaussée. 10 Village situé sur la Seine, â dix-huit kilomètres au Sud-Ouest de Rouen. 11 Petit chemin rocailleux menant de Croisset à Canteleu et passant près de la propriété de Flaubert. Il a disparu lorsqu’on a construit l’usine qui se trouve actuellement sur l’emplacement de la maison Flaubert. 12 Dans son Agenda, George Sand écrit bien lisiblement le pont, ce qui est évidemment une erreur. 13 Il y a dans l’église Saint-Romain des fonts baptismaux dont le dôme en bois est orné de bas-reliefs de la Renaissance, représentant des scènes de la Passion. 14 Corr., p. 11, n° XIV. 15 Corr. de Fl. Supplément Éd. Jacques Lambert, t. II, n° 318. 16 Corr. p. 13, n° XVI. 17 Corr. de Fl. Éd. Conard, t. V, n° 868. 18 Corr. p. 18, n° XVIII. 19 Agenda de G. Sand, 1866. Bibl. Nat., Dépt des Mss, n. a. fr. 20 Achille Flaubert, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen. Il était de neuf ans plus âgé que Gustave. 21 Femme d’un magistrat de Rouen et mère d’Eugène Crépet, qui était l’ami de Baudelaire et de Flaubert. 22 Le Château des Cœurs, fait en collaboration avec Louis Bouilhet et le comte d’Osmoy. Malgré de nombreuses démarches de la part de Flaubert, la pièce ne fut jamais jouée. 23 On sait le peu de goût que Flaubert éprouvait pour la promenade et l’exercice physique. 24 Squelette calcaire ou corné sécrété par les polypes. 25 Roman dialogué, publié dans la Revue des Deux-Mondes, du 1er septembre au 15 novembre 1867, paru en volume en avril 1868. Paul Meurice l’adapta à la scène ; la première représentation eut lieu à la Porte Saint-Martin, le 3 octobre 1868. 26 Sand n’écrit presque jamais je vais » dans sa prose familière. 27 Félix-Archimède Pouchet, médecin et naturaliste, directeur du Muséum d’Histoire naturelle à Rouen, membre de l’Académie des Sciences. Son fils, Georges Pouchet, médecin et naturaliste comme son père, était un ami assez intime de Flaubert. 28 Kiwi, genre d’oiseau propre à la région austro-zélandaise. 29 Citons ici, à titre de curiosité, un fragment inédit de la lettre de Flaubert à Sand du 27 décembre 1866. Corr. Éd. Conard, T. V, n° 867. L’autographe est conservé dans la Coll. Spœlberch de Lovenjoul, à Chantilly Ah, j’oubliais une commission le père Pouchet m’a chargé de vous dire que Il était tellement troublé par votre présence, qu’il avait oublié de vous dire que non seulement il admirait vos œuvres démesurément, mais encore celles de votre fils, etc. Quand il veut s’égayer, il ouvre Masques et Visages. Et il est revenu sur sa barbe qui n’était pas faite ce jour-là ». Quant au livre de Maurice Sand, Flaubert fait évidemment allusion aux Masques et Bouffons Comédie Italienne, Paris, Michel Lévy. 30 L’ancien Musée des Faïences » est devenu depuis le Musée des Antiquités », les faïences ayant été transposées dans un nouveau musée, dit Musée des céramiques ». Dans le jardin qui entourait le Musée des Faïences, on avait mis beaucoup d’antiquités rouennaises pierres et statues ; à l’intérieur du Musée, se trouvait et se trouve encore une porte en bois de chêne provenant de la maison de Pierre Corneille, à Rouen. 31 Nièce de Flaubert. Sand orthographie Comenville ». 32 La Chronique de Rouen des 1er et 15 novembre 1866 signale la ménagerie Schmidt, installée au Cirque Sainte-Marie de la foire Saint-Romain et comprenant treize lions, un tigre de Bengale, léopards, hyènes, ours noirs et blancs, un énorme éléphant, reptiles et crocodiles. 33 C’est probablement à cette occasion que Flaubert et G. Sand virent la Tentation de Saint-Antoine dans la baraque du père Legrain. 34 Pièce que G. Sand voulait tirer du roman du même titre, paru en 1852. En mars 1867, elle renonça à ce projet cf. lettre à Flaubert du 4 mars 1867, Corr. p. 75. 35 L’Éducation Sentimentale. 36 Corr. lettres XXIV et XXVII, pp. 27 et 31. 37 Corr. Éd. Conard, T. V, n° 876. 38 Ibid., n° 875. 39 Femme du peintre Eugène Lambert. Elle était sur le point d’accoucher, mais des complications rendaient l’événement précaire. 40 On peut lire le récit amusant de cette terrible journée dans une lettre aux Goncourt. Corr., Éd. Conard, T. V, n° 968. 41 Agenda de G. Sand, 1868. B. N., Dt des Mss, n. a. fr. 42 Sainte-Beuve souffrait à ce moment d’une maladie de vessie. 43 Mme Frankline Grout, amie de Caroline Commanville, la nièce de Flaubert. Sand écrit, Franqueline » . 44 S’agirait-il déjà de la Vie et Travaux du Cruchard ? Ou plutôt de L’Enfant prodigue ?Voir ce que Sand dit le 25 décembre 1869. 45 Il existe dans le village de Saint-Martin-de-Boscherville une église célèbre du 13e siècle art roman dans sa plénitude, intitulée Abbaye de Saint-Georges-de-Boscherville. L’église est encore solide, mais il ne reste de l’Abbaye qu’un petit cloître et quelques salles. 46 Petite ville, située sur la Seine, à vingt kilomètres à l’Ouest de Rouen. 47 De l’Éducation Sentimentale. 48 Ce tulipier intéressait hautement G. Sand. À sa première visite, elle l’avait déjà remarqué, et après son retour à Paris, elle en avait réclamé quelques feuilles. Cf. Corr. pp. 11 et 12. 49 Bouilhet était conservateur de la Bibliothèque de Rouen depuis mai 1867. 50 Corr., Suppl., T. II, n° 386. 51 Corr., Éd. Conard, T. V, n° 974. 52 Ibid., n° 966. 53 Ibid., n° 1005. 54 La pièce ne devait être jouée que le 6 janvier 1872. 55 Épouse de Maurice, le fils de G. Sand. 56 Corr. p. 190, n° CXL. 57 Agenda de G. Sand, 1869. B. N., Dt des Mss, n. a. fr. 58 Edmond Plauchut, ami intime de G. Sand. 59 Plaisanterie pour serpent, instrument de musique. 60 Maurice Sand avait épousé, en 1862, Lina Calamatta, fille du graveur italien Luigi Calamatta. Ils avaient deux filles, Aurore Lolo, née le 9 janvier 1866 etGabrielle Titite, née le 12 mars 1868. C’était surtout Aurore que Sand adorait. 61 Ainsi sont désignés ordinairement, dans les écrits familiers de G. Sand, ses nouveaux amis, souvent très jeunes encore, habitant La Châtre et les environs de Nohant. À ce cercle appartiennent, entre autres, Maxime de Planet et les petits-neveux de Sand, René, Edme, et Albert Simonnet. Ils venaient souvent la voir pour, égayer sa vieillesse. 62 Le Château des Cœurs. 63 Voir la note 44. 64 Le chien de Nohant. 65 Danse espagnole très populaire. 66 Anciens amis de G. Sand, habitant La Châtre. 67 Antoine Ludre, fils de l’avoué de G. Sand et un des jeunes gens ». 68 Personnage du théâtre cles marionnettes. 69 Corr. Suppl., T. II, n° 475. 70 Corr. p. 339, n° CCLX. 71 Agenda de G. Sand, 1873. B. N., PDt des Mss, n. a. fr. 72 Le bélier. 73 Danse espagnole d’un caractère voluptueux. 74 Mardelle, syn. de Margelle. Nom donné dans le Berry aux effondrements tronconiques produits par le passage des eaux souterraines à travers l’argile à silex et que l’on a attribués d’abord à la main de l’homme. Larousse du XXe siècle. 75 Maurice Sand avait publié en 1806 Le Monde des Papillons Paris, Rothschild. 76 Sand tenait à instruire elle-même sa petite-fille. Elle ne se privait que rarement de ce plaisir, même quand elle était malade ou qu’il y avait des visiteurs. 77 Terminé en 1872 déjà, mais publié seulement en 1874. 78 Le Général Ferri-Pisani, attaché à la Maison du Prince Jérôme Bonaparte, grand ami de G. Sand. 79 Mme Angèle Périgois, née Néraud, amie de G. Sand, habitant non loin de Nohant. 80 On sait que Tourgueneff souffrait très souvent de la goutte. 81 Aubépines. 82 Corr., Éd. Conard, T. VII, n° 1367. 83 Ibid., n° 1383. Lucile-Amantine-Aurore Dupin, dite George Sand, naquit à Paris, rue Meslay, le 1er juillet 1804. Son père, Maurice Dupin, aide de camp du roi Murat, petit-fils du maréchal de Saxe par sa mère, Aurore de Saxe, mariée à Claude Dupin de Francueil, fermier général, appartenait donc à de grandes familles, tandis que sa mère appartenait au peuple de Paris Sophie Delaborde était fille d’un oiselier du quai de la Mégisserie. Le mariage de son fils Maurice avec une femme de si humble extraction déplut fort à Madame Dupin de Francueil ; toute la jeunesse de la petite Aurore devait en être troublée. À l’âge de quatre ans, elle partit avec sa mère rejoindre son père qui faisait la guerre en Espagne avec Murat. C’est dans ce voyage de Paris à Madrid que l’enfant eut la révélation de la vie et de la mort. Sa mère lui faisait remarquer les beautés du ciel et des fleurs ce furent les liserons, fleuris dans les montagnes, qui lui firent goûter pour la première fois les délices de l’odorat ; un peu plus loin, dans une auberge, on lui avait donné un pigeon, mais il voulait s’échapper et, ne sachant comment le conserver, elle demanda qu’on le remît avec ses compagnons. Sa mère lui dit qu’on était en train de les tuer, l’enfant voulut qu’on le tua aussi. George Sand en 1830, par Candide Blaize Etonnée de cette insistance, sa mère comprit que l’enfant ne faisait pas de différence entre le sommeil et la mort il fallait le lui enseigner. Mme Dupin l’emmena alors pour lui montrer avec quelles convulsions les pauvres bêtes agonisaient. Devant les cris déchirants de l’enfant qui réclamait son pigeon, Mme Dupin le lui rendit elle l’avait caché sous son bras ; l’enfant en ressentit alors une joie extrême. C’était dans le palais du Prince de la Paix Godoy que Murat et sa suite habitaient. L’appartement des Dupin était immense et tout tendu de damas de soie cramoisi. Il se trouvait dans ce palais d’étranges hôtes, après la fuite des possesseurs c’étaient des lapins qui vivaient en liberté dans les plus belles salles d’apparat, et Aurore eut la joie d’en trouver un tout blanc qui vint manger dans sa main et dormir sur ses genoux. Mais elle connut un être bien plus extraordinaire encore, celui que l’on nommait le Prince » comme dans les contes de fées c’était Murat lui-même. Il prit l’enfant en amitié, car pour se faire pardonner la présence de la fillette dans les horreurs de la guerre, Mme Dupin l’avait revêtue d’un costume d’aide de camp identique à celui de son père pantalon de casimir amarante, avec des broderies d’or à la hongroise, dolman blanc galonné et boutonné d’or, pelisse pareille garnie de fourrure noire, jetée sur l’épaule, et un grand sabre traînant derrière les petites bottes de maroquin rouge » ; rien n’y manquait. Murat présenta l’enfant en riant aux personnes qui venaient chez lui. Mais la petite Aurore qui aimait déjà la liberté était bien plus heureuse lorsque ayant quitté ce brillant uniforme, elle revêtait le costume espagnol que l’on portait alors, robe de soie noire bordée d’un grand réseau de soie qui prenait au genou et tombait en franges jusqu’à la cheville, et la mantille plate en crêpe noir, bordée d’une large bande de velours ». Ce fut là aussi, sur la terrasse, qu’elle connut les premières joies de la solitude pour rêver, jusqu’au jour où tout à coup, ressentant la peur de cette solitude, elle appela le domestique de son père qui lui servait de bonne d’enfant. Une voix répéta Weber ». L’enfant, intriguée, chercha qui pouvait parler, qui répétait le nom qu’elle venait de prononcer. Elle recommença, appela sa mère cette fois, puis dit son propre nom chaque fois la voix mystérieuse répondait les mêmes paroles. Elle cacha cette étrange aventure à sa mère jusqu’au moment où celle-ci surprit l’enfant appelant toute seule sur la terrasse ; elle lui apprit alors que c’était l’écho qui lui répondait. Aurore n’était plus seule ; elle avait trouvé un ami, un compagnon de solitude l’écho. Il devint son autre elle-même ; elle l’appelait son double ». Combien de fois dans l’avenir le chercha-t-elle dans sa solitude morale, dans son amour de la rêverie, dans son grand besoin de découvrir son pareil. De retour en France, à travers feu et sang, couchant dans les camps, elle revint chez sa grand-mère à Nohant, maison seigneuriale où elle devait passer la plus grande partie de sa vie. Mais la mort subite de son père 17 septembre 1808, tué d’une chute de cheval, à cent mètres du pont du Lion d’Argent, en revenant à Nohant dans la nuit, fut le début d’une longue crise de chagrin. L’éducation de l’enfant devint une cause de mésentente entre la grand’mère et sa belle-fille dont l’éducation et la nature étaient si différentes l’une de l’autre. Aurore dut entrer au Couvent des Dames anglaises » où elle fut adoptée et chérie de tout le monde ; son développement fut celui des jeunes filles de l’aristocratie de cette époque. Cependant, en dehors des jeux où elle était la plus endiablée, en dehors des comédies où elle était la meilleure interprète, où elle adapta même une pièce de Molière avec une grande liberté enfantine sans doute, elle portait en elle son âme ardente et mystique qui la jeta dans une dévotion qui l’inclinait à désirer prononcer ses vœux. Son exaltation religieuse que son confesseur et la mère Alicia combattaient doucement, effraya sa grand-mère qui sortit de sa retraite du Berry pour venir l’arracher du couvent. George Sand en 1837. Dessin colorisé de Luigi Calamatta Cette fois, Aurore revint en larmes à Nohant. Elle regrettait ses compagnes et la douceur de la vie monacale. II fallut l’intelligente bonté de Msup>me Dupin de Francueil pour reprendre de l’empire sur la jeune fille qui retrouvait avec tristesse les luttes morales entre sa grand-mère et sa mère. Elle les aimait également, mais Aurore de Saxe sut éveiller dans sa petite-fille un côté atavique intellectuel qui fit de rapides progrès sous sa bonne influence et donna à Aurore le désir d’élargir ses connaissances pour mériter l’affection de la grande dame qui l’adorait. Elle devint bientôt sa garde-malade, Mme de Francueil, étant atteinte de paralysie ; avec son caractère généreux et altruiste, la jeune fille passa son temps au chevet de sa grand-mère. Pendant la nuit elle lisait, tout en la veillant ; elle entourait de soins la pauvre femme qui déclinait. Ce fut le vieux précepteur de Maurice Dupin, devenu le régisseur des biens de Mme de Francueil, qui secondait la jeune fille dans les soins qu’elle donnait à sa grand-mère. En voyant combien Aurore se fatiguait, Deschartres lui ordonna de prendre des exercices physiques, de monter à cheval, de ne point s’enfermer jour et nuit auprès de la malade. Il traitait Aurore comme il avait traité son père, c’est-à-dire en garçon ; il lui fit revêtir des vêtements d’homme pour le suivre à la chasse dans les champs labourés. Du reste, c’était une mode assez souvent suivie pour passer inaperçue ou pour voyager. Aurore, entre la lecture des philosophes, l’inquiétude que lui donnait la santé de sa grand-mère chérie, les promenades obligatoires, l’activité d’un esprit ouvert et passionné pour la vérité, se développa presque seule. Son extrême sensibilité exaltée par sa nature, tantôt d’une mélancolie extrême, tantôt d’une exubérance juvénile, ressentit une seconde fois l’horreur de la séparation ; sa grand-mère mourut, confiant sa direction morale à la famille paternelle d’Aurore, désirant, par là, contre-balancer l’influence et le caractère de sa belle-fille. Mais lorsque ses parents, après la mort de Mme de Francueil, mirent la jeune fille en demeure d’abandonner sa mère et de la renier, celle-ci, obéissant à son esprit de justice, à son besoin d’équité, à son cœur tendre, à la noblesse de son caractère, préféra l’oubli et les anathèmes de ses parents nobles plutôt’ que de commettre une vilenie. Elle n’en fut pas récompensée ; sa mère tout en l’aimant, la fit durement souffrir par son caractère emporté et souvent injuste. C’est ainsi que ne sachant pas gouverner sa fille, elle la conduisit chez les Duplessis, famille agréable où elle rencontra celui qui devint bientôt son mari. Casimir Dudevant était un jeune officier en non activité, fils du colonel baron Dudevant, descendant éloigné de la famille écossaise de Law. Les deux jeunes gens avaient éprouvé l’un pour l’autre une sympathie presque amicale, une confiance réciproque qui les aiderait longtemps dans le mariage à conserver l’un pour l’autre une affection qui devait préserver leur foyer jusqu’au moment où les défauts de Casimir augmentèrent de telle sorte que sa femme ne put les supporter davantage. C’est après avoir renoncé au bel amour réciproque avec Aurélien de Sèze, d’un commun accord sacrifié au devoir, qu’Aurore, ayant senti toute la différence de goûts et d’aspirations qui existait entre elle et Casimir, chercha, en écrivant, à rendre sa vie plus supportable. Après une entente avec son mari, elle partit pour Paris, emmenant sa fillette, tandis que son fils Maurice entrait au collège. Elle débuta dans la littérature en collaboration avec Jules Sandeau, camarade berrichon pour lequel elle eut ensuite une affection qui finit par une cruelle déception. Le nom de George Sand qu’elle prit pour écrire, était né de chagrins domestiques et d’une rupture littéraire. Elle eut bientôt un brillant succès avec Indiana, puis avec Valentine, Lélia, le plus grand chef-d’œuvre littéraire féminin, mélange de philosophie, d’amour, de passion, d’un style romantique et d’une majesté de composition rare, qui la mit au premier rang de tous les écrivains de son époque. Elle rencontra vers ce moment-là Alfred de Musset, qui l’admirait. D’un caractère très différent du sien, et d’une valeur tout autre, il s’éprit d’elle. La passion qu’ils éprouvèrent l’un pour l’autre leur fit croire un instant au bonheur pour les déchirer ensuite. Le travail, l’amitié qui accompagnait toujours chez George, même les pires désillusions ou les pires chagrins, joints à son amour profond pour ses enfants, l’aidèrent à surmonter l’envie du suicide dans le dénouement de cette union malheureuse. Maurice Sand 1823-1889. Dessin de Luigi Calamatta Mais, après cette nouvelle épreuve, elle ne voulait ni ne pouvait se plier à la vie conjugale depuis longtemps terminée de fait elle plaida en séparation. Les torts de son mari furent reconnus elle garda ses enfants. Son fils Maurice fut la consolation de sa vie par son affection et ses hautes qualités. Tandis que sa fille Solange fut la source d’une angoisse perpétuelle. Son caractère était fantasque et malintentionné. George Sand était belle, d’une beauté brune et pâle, étrange à cause de ses grands yeux profonds presque noirs, mats et veloutés. La bouche était bien dessinée, ni charnue, ni épaisse, mais pleine, sinueuse et moyenne. Son nez était d’une belle ligne, aquilin sans être bosselé, les narines délicates. Son front haut, légèrement fuyant, était pur, ses cheveux, ondés, bouclaient naturellement et encadraient d’un nuage sombre son visage allongé. D’humeur mélancolique, avec de brusques gaietés d’enfant, elle était irrésistible. Tour à tour animée, rêveuse, silencieuse, passionnée sous un aspect tranquille, triste jusqu’au désespoir, ne craignant rien, ni peine, ni fatigue, ni travail, ni désapprobation quand elle sentait qu’elle avait raison, elle fut la plus courageuse des femmes, et elle éleva sa vocation de romancière jusqu’aux plus hauts et aux plus nobles problèmes de l’humanité. Philosophe et troubadour », elle fit entendre pendant un demi-siècle la voix de ses sentiments généreux, de son âme indépendante. Jacques, si plein d’elle-même, de son émoi, profond et intime ; Le Marquis de Villemeir, Mauprat le roman d’un seul amour au cœur d’un homme ; Claudie, chef-d’œuvre pastoral, puis Consuelo, Les Maîtres sonneurs, où l’art musical tient la première place ; Le Péché de M. Antoine, Valentine, Jean de La Roche, Le Compagnon du Tour de France, où elle exposait sous un tour romanesque les idées sociales qui se réalisèrent plus tard. L’Homme de Neige, La Comtesse de Rudolstardt, Les Beaux Messieurs de Bois-Doré, unissent de brillantes aventures à la psychologie humaine à travers l’histoire. Si son style admirable s’est teinté dans certaines œuvres de la couleur de l’époque romantique, il reste malgré ce reflet de l’ambiance l’expression magnifique d’une nature rare, d’un maître génial. On lira toujours Sand parce qu’elle exprime ce qu’elle était elle-même l’amour, l’intelligence et la bonté. Ce qui caractérise encore la grande George, c’est l’ampleur et l’indépendance de ses idées, c’est aussi la simplicité de son génie. Elle fut l’amie de tous les artistes et de tous les écrivains célèbres de son temps qu’elle devançait ou dépassait par l’ardente aspiration de son cœur altruiste et par son intuition de l’avenir. Douée pour la compréhension de toutes choses, elle aimait et connaissait la musique, l’histoire naturelle, le dessin, la peinture, les menus soins du foyer. Elle fut non seulement l’amie des écrivains et des poètes, mais aussi des musiciens, de Liszt, de Meyerbeer et de Chopin avec lequel un long attachement fut rompu par des raisons en dehors du sentiment des deux amis. Les peintres et les graveurs Charpentier, Couture, Calamatta, furent ses hôtes assidus ; Delacroix la visita souvent à Nohant et devint le maître de Maurice, fils de George Sand, tandis que Calamatta, le célèbre graveur d’Ingres et de la Joconde, donnait Lina, sa fille, en mariage à Maurice. Alexandre Manceaux gravait le portrait de George Sand par Thomas Couture, et l’ouvrage remarquable de Maurice Sand Masques et Bouffons. Eugène Lambert, Villevielle Leleux, Véron, Castan, Cicéri, Théodore Rousseau, et d’autres, l’entouraient et la consultaient, tandis que Clésinger, le célèbre sculpteur du Second Empire, épousait sa fille Solange. Un cénacle, illustre ne cessa d’admirer et d’estimer George Sand. Victor Hugo, Lamartine, Chateaubriand, Lamennais, Balzac, Théophile Gautier, les Dumas, Ernest Renan, Gustave Flaubert, Fromentin, Berthelot, Marie Dorval, Bocage, la Malibran, Béranger, Berton, Mme Viardot, Mme Arnould-Plessy, Sarah Bernhardt, Mme Worms-Barretta, tous les illustres artistes dramatiques aussi bien que les créateurs, la vénéraient et l’aimaient. Elle encouragea Anatole France, Alphonse Daudet, Émile Zola ; partout où elle rencontrait le talent, elle le louait, le soutenait et lui portait l’amour désintéressé d’un véritable apôtre. Sa générosité égalait son pouvoir de création. Elle gagna une fortune, non pas en se jouant comme d’aucuns pourraient le croire, mais par l’assiduité d’un labeur constant qu’elle ne se permettait jamais de différer ou d’interrompre ; elle avait ses enfants a élever, avec eux beaucoup d’enfants adoptifs, sans compter les autres secourus qu’elle avait pris sous sa protection. Elle alimenta donc du gain de son œuvre ceux qui avaient besoin d’elle et ne garda presque rien elle ne donnait pas seulement son cœur, sa fortune, son intelligence et son amour, elle donnait son idéal à l’humanité. Une telle individualité ne pouvait pas se borner à célébrer dans ses œuvres l’amour et les aventures romanesques, elle avait un vol d’une trop large envergure pour ne pas agrandir son champ d’action elle chercha donc à exalter le dévouement sous toutes ses formes pour améliorer les conditions de la vie. Tous les problèmes sociaux l’intéressaient, et son génie serait reproché de ne pas contribuer au bien que son âme désirait. Maison de George Sand à Nohant-Vic Indre. Timbre émis le 9 septembre 2013dans la série Patrimoine de France. Dessin de Stéphane Humbert-Basset Si George Sand était une haute pensée, un grand écrivain et un philosophe, elle était aussi l’amante de la nature et des humbles. Ses romans champêtres furent de nouveaux chefs-d’œuvre après ceux qui la rendirent célèbre. Elle connaissait la vie des paysans. Elle les recréa selon son cœur tels qu’elle les a dépeints, ils restent une création adorable. Sa vie, souvent tourmentée par la recherche du compagnon qu’elle rêvait de rencontrer pour partager ses enthousiasmes et son idéal, ne l’empêcha jamais de penser à autrui avant de penser à elle-même. Elle sut se sacrifier, elle sut aussi sauvegarder son travail, et son indépendance d’opinion elle n’usa jamais de ses droits à la recherche du bonheur personnel qu’après avoir rempli les nombreux devoirs qu’elle s’était imposés. Enfin, à ce cœur si féminin, si maternel, à cette intelligence si noble, elle sut ajouter une loyauté virile. Avec sa famille, elle était aussi tendre, aussi jeune d’esprit dans sa vieillesse que pendant la période la plus mouvementée de sa vie sentimentale elle avait en plus de ce feu intérieur qui la rendait si séduisante, une grande sérénité qu’elle avait conquise sur elle-même. Après avoir longtemps espéré rencontrer le compagnon de ses rêves, le soutien dans l’existence sur lequel on peut se reposer, elle avait vu peu à peu mourir cet espoir, mais un autre avait grandi auprès d’elle, s’était fortifié de ses déceptions mêmes, s’était consacré à son amour et était devenu une belle réalité c’était son fils, Maurice. Dans les dernières années de son existence, nous la retrouvons apaisée et sereine, sa destinée réalisée, son âme satisfaite, jouissant avant tout de son intérieur parfaitement heureux, dans sa retraite bien-aimée de Nohant. Elle aimait passionnément ce coin de terre paisible, milieu calme, humble et silencieux, tout plein du souvenir de sa grand-mère, où, selon ses souhaits, elle mourut et fut enterrée. Sa famille se composait de son fils Maurice, pour elle ami tout autant que fils, de sa belle-fille, Mme Maurice Sand, née Talamatta, sa perle de la maison », comme elle se plaisait, à l’appeler, et de leurs deux enfants, Aurore et Gabrielle. Ces deux charmantes créatures faisaient la joie de leur grand-mère qui disait d’elles Ces chers petits êtres sont tout dans la vieillesse, mais la vie se passe à trembler pour eux ! » Cette dernière période de la vie de George Sand nous a été principalement révélée par la publication de sa correspondance, mais c’est le sixième et dernier volume qui nous fait assister au plein épanouissement de ses convictions, éclatant d’autant plus vives qu’elle se heurte partout à un débordement d’athéisme et de froid positivisme dont elle ne peut se consoler. La foi en l’idéal devint pour elle un impérieux besoin en face de la ruine et du deuil de son pays, en la lugubre année 1870. Quel chemin de croix pour cette ardente patriote, pour cette âme humanitaire qui écrivait, navrée Cette boucherie humaine met mon pauvre cœur en loques ! » L’avènement de la République fut, pour George Sand, un court instant d’une joie effacée bien vite par les angoisses innombrables de ces longs mois d’épreuve ; ils firent tant saigner son cœur qu’elle se demandait s’il vivait encore. Pourtant, ferme toujours, elle ne se laissa pas abattre et tâcha d’encourager les autres. La vie est si lourde pour les. hommes, à présent, écrivait-elle le 22 février 1871 à Mme Edmond Adam, que les femmes leur doivent de ne pas ajouter à leurs craintes et à leurs chagrins. » Cette fermeté lui devint plus difficile lorsqu’aux désastres de la guerre succédèrent ceux de la Commune. Il lui fallut lutter contre de vraies crises d’abattement, ce qui lui faisait écrire plus tard Je ne veux pas être découragée, je ne veux pas renier le passé et redouter l’avenir, mais c’est ma volonté, c’est mon raisonnement qui luttent contre une impression profonde, insurmontable quant à présent. » Le travail fut encore cette fois pour George Sand le remède héroïque ; il rendit non seulement à son esprit son élasticité et sa vigueur accoutumées, mais lui fournit le moyen de réparer des pertes matérielles et de répondre avec sa générosité habituelle aux appels faits à sa bourse, plus nombreux que jamais et jamais infructueux. À l’âge de soixante-huit ans, elle se remit à travailler huit heures par jour, ayant retrouvé, écrivait-elle à Flaubert, une santé de fer et une vieillesse exceptionnelle, bizarre même, puisque mes forces augmentent à l’âge où elles devraient diminuer. Le jour où j’ai résolument enterré la jeunesse, j’ai rajeuni de vingt ans. Tu me diras que l’écorce ne subit pas moins l’outrage du temps. Cela ne fait rien, le cœur de l’arbre est fort bon, et la sève fonctionne comme dans les vieux pommiers de mon jardin, qui fructifient d’autant mieux qu’ils sont plus racornis. » C’est de cette époque que date la collaboration de l’énergique sexagénaire au journal Le Temps, avec la rédaction duquel son ami Charles Edmond l’avait mise en rapport. Elle lui envoya deux feuilletons par mois, sur des sujets très variés, inspirés par le plus pur patriotisme et n’ayant d’autre but que de contribuer au relèvement moral de la France. Ces articles se trouvent pour la plupart dans les deux volumes Impressions et Souvenirs et Dernières pages. Son charmant roman de Nanon parut aussi alors en feuilleton dans Le Temps, ainsi que les Contes d’une grand-mère et les Promenades autour d’un village. Quant aux autres, ce fut, comme par le passé, la Revue des Deux-Mondes qui en eut la primeur. George Sand vers 1870. Gravure colorisée de Smeeton-Tilly À tout ce travail de l’écrivain s’ajoutait une correspondance énorme, grossie d’envois considérables de livres et de manuscrits de jeunes auteurs. George Sand lisait tout, répondait à tout, toujours pleine de bonté et d’indulgence, sachant dire la vérité sans décourager, mais en démontrant la nécessité du travail et de l’effort pour arriver à produire une oeuvre bonne et belle. Venaient enfin les heures de délassements que la bonne grand-mère, déchargée par son aimable belle-fille de tous les soins de l’intérieur, consacrait tout entières à sa famille et aux nombreux amis qui venaient, en été surtout, animer son hospitalière maison, et se nommaient Alexandre Dumas fils, Gustave Flaubert, M. et Mme Edmond Adam, Mme Arnould Plessy, Tourgueneff, Mme Viardot et ses filles, etc. Aux jouissances de la conversation s’ajoutaient celles de la musique et du théâtre qui passionnaient George Sand. Le théâtre, le fameux théâtre de Nohant, organisé par Maurice Sand pour distraire et amuser sa mère, donnait alors ses plus belles pièces, et les spectateurs s’émerveillaient de l’entrain du directeur. Tout à la fois auteur, acteur, décorateur, lampiste, machiniste, il avait inventé un système nouveau pour mettre à lui seul trente marionnettes en scène et rendre le théâtre de Balandard » digne de ses auditeurs et de sa renommée. Mais par-dessus tout, les heures heureuses et reposantes étaient pour George Sand celles qu’elle vouait à l’éducation et à l’instruction de ses deux petites-filles, de l’aînée surtout qu’elle appelait Aurore, ma passion ! » Elle voulut elle-même lui enseigner à lire et à cet effet s’appliqua à la composition d’un abécédaire à propos duquel elle écrivait à Flaubert Te cherche à rendre clairs les débuts de l’enfant dans la vie cultivée, persuadée que la première étude imprime son mouvement sur toutes les autres et que la pédagogie nous enseigne toujours midi à quatorze heures. » Quel excellent pédagogue devait être ce grand esprit possédant si bien les qualités morales essentielles de l’emploi jeunesse d’esprit et amour de l’enfance ! Elle adorait les enfants dont le bruit et le mouvement, au contraire de la plupart des personnes âgées, étaient pour elle autant un besoin qu’un plaisir. On voyait sans cesse sa table de travail encombrée de poupées et de polichinelles ; elle travaillait au milieu des jeux de ses petites-filles, prenait part souvent à leurs joyeux ébats, et tous les soirs, avant de les envoyer coucher, 6e mettait au piano pour les faire danser. Du reste, en lisant sa correspondance, il est impossible de croire à l’âge de George Sand la jeunesse de son esprit, la vivacité de ses impressions, le font sans cesse oublier. Ce qui certainement contribuait à entretenir la vigueur physique de cette femme exceptionnelle, c’étaient les grandes courses à travers prés et bois qu’elle entreprenait à la suite de son fils, passionné de recherches entomologiques et dont nous trouvons une peinture charmante dans les Promenades autour d’un village. Puis, en été, elle se plongeait journellement dans les flots glacés de l’Indre, sans écouter son médecin, et en dépit d’une coqueluche gagnée auprès de ses petites-filles, et qui résista à un long séjour fait au bord de la mer, une de ses rares dernières absences de Nohant. Cet âge, par contre, se trahit dans les pages intimes où George Sand épanche son cœur auprès de ses meilleurs amis, par l’expérience, la sagesse, la résignation, l’espérance qu’elle a acquises et qui lui ont enseigné à juger la vie d’une façon si sereine, si noble et si élevée. Les injustices, les tristesses, les douleurs inévitables en ce monde ne la révoltent plus comme autrefois contre l’ordre social. Il ne faut ni maudire, ni mépriser la vie, dit-elle ; si le chagrin est bon à quelque chose, c’est à nous défendre de l’égoïsme. Plus loin, elle ajoute Je suis bien, bien patiente et j’empêche tant que je peux les autres de s’impatienter, tout est là ; l’ennui du mal double toujours le mal. Quand serons-nous sages comme les anciens l’entendaient ? Cela, en somme, voulait dire patients, pas autre chose. Il faut être patients un peu pour commencer, et puis, on s’y habitue ; si nous ne travaillons pas sur nous-mêmes, comment espérer qu’on sera toujours en train de travailler sur les autres ? » Et ailleurs Je ne sais rien de rien, qu’aimer et croire à un idéal », écrit-elle encore ; et plus loin Le bonheur, c’est l’acceptation de la vie quelle qu’elle soit ! » Elle croit au progrès, malgré-tout ; y travailler pour soi et les autres, voilà le but de l’existence, pour lequel on trouve la force qu’on ne croyait pas avoir, quand on désire ardemment gravir, monter un échelon tous les jours ». Il lui fallait aussi un grand courage, à la noble femme, alors que le vide se faisait de toutes parts autour d’elle, et qu’elle voyait disparaître les uns après les autres tant d’amis bien chers. La vie, écrivait-elle en face d’une de ces pertes douloureuses, est une suite de coups dans le cœur. Mais le devoir est là, il faut marcher et faire sa tâche sans contrister ceux qui souffrent avec nous. » Son énergie ne l’abandonna jamais et sembla augmenter à mesure que se montrèrent des souffrances indéterminées d’abord, mais qui finirent par faire reconnaître un mal chronique des intestins. Les crises devinrent plus aiguës et plus fréquentes, mais tout en les combattant, George Sand s’en tourmentait beaucoup moins que des névralgies dont souffrait son fils. La dernière lettre du dernier volume de la Correspondance est adressée à son médecin de Paris, Henri Favre. Il est curieux de voir comment la malade y rend compte de son état L’état général n’est pas détérioré, et, malgré l’âge soixante-douze ans bientôt, je ne sens pas les atteintes de la sénilité. Les jambes sont bonnes, la vue est meilleure qu’elle n’a été depuis vingt ans, le sommeil est calme, les mains sont aussi sûres et aussi adroites que dans la jeunesse. Quand je ne souffre pas de ces cruelles douleurs, il se produit un phénomène particulier, dû sans doute à ce mal localisé je me sens plus forte et plus libre dans mon être que je ne l’ai peut-être jamais été. J’étais légèrement asthmatique, je ne le suis plus ; je monte des escaliers aussi lestement que mon chien. Mais une partie des fonctions de la vie étant presque absolument supprimées, je me demande où je vais, et s’il ne faut pas s’attendre à un départ subit, un de ces matins. J’aimerais mieux le savoir tout de suite que d’en avoir la surprise. » Deux jours après cette lettre, George Sand s’est alitée et après dix jours de souffrances, meurt le 8 juin 1876. Ses paroles dernières furent Laissez... verdure... pas de pierre, laissez pousser l’herbe. » Ce désir conforme à son amour de la nature, de la simplicité, fut suivi par ses enfants. Quand on l’enterra, un paysan des environs de Nohant s’approcha de la tombe et y déposa une couronne en disant Au nom des paysans de Nohant, mais pas au nom des pauvres ; grâce à elle, il n’y a plus de pauvre ici ! »

lettre de george sand Ă  son fils